Depuis mon bureau, je n’avais pas entendu la sonnette de la porte d’entrée. C’était l’heure d’enfermer les poules pour la nuit dans le poulailler. J’ai mis mon chapeau et mes sabots et je suis sorti. Au loin, j’ai aperçu une silhouette accompagnée d’un chien remonter le chemin vers la route. Je n’y ai pas fait attention, le chien c’était Rémy, le chien de la ferme. Il a pour habitude d’accompagner les promeneurs. Je me suis occupé des poules et en revenant vers la maison, j’ai vu que le promeneur sonnait chez les voisins absents. Je me suis inquiété et je me suis dirigé vers la personne. Mon expression favorite « aller vers… » prenait tout son sens, j’allais vers quelqu’un.
A portée de voix, j’ai demandé si je pouvais aider. La silhouette a fait demi-tour et est descendue vers moi, toujours accompagnée par Rémy. A quelques mètres de moi, la personne m’a demandé si je m’appelais bien Guy Lerat. J’ai acquiéscé et je l’ai invité à venir se réchauffer à la maison. Il était vêtu d’une veste de cuir beige et portait une casquette qui me rappelait les casquettes irlandaises. Il semblait fatigué et il était trempé. Il portait un sac en bandouillère.
Une fois à l’intérieur, il a retiré ses chaussures et ses chaussettes trempées et il est resté pieds nus. Je lui ai servi un verre d’eau et il a commencé à parler. Le feu de bois était intense et dégageait une chaleur qui incitait à la confidence. Il a commencé à me donner son prénom, on dira Alex pour la fluidité du récit, et son âge +/- 30 ans. Il voulait m’apporter son témoignage d’EHS et avait quitté sa ville de Lille pour me voir. Il avait fait une grosse partie du voyage à pied et avait été surpris par un orage de grêle qui s’était abattu quelques heures plus tôt sur la région. Il s’était aussi trompé de chemin et avait été jusqu’à la ferme où il avait rencontré ce chien qui l’avait suivi. Il n’avait plus dormi depuis plus de 40 heures et cherchait désespérément un refuge à l’abri des ondes pour pouvoir dormir.
Le soir était tombé et je l’ai invité à partager mon repas et à dormir dans le motor-home. Mon épouse travaillait tard et nous avons passé une partie de la soirée à parler de l’Irlande et nous avons évoqué de nombreux endroits communs. Parfois, il me glissait quelques bribes de son histoire personnelle mais sans jamais se dévoiler totalement. Cela faisait maintenant quelques années qu’il souffrait de cette problématique et son entourage ne voulait rien entendre.
Ruiné par la fatigue, je l’ai envoyé se coucher en lui souhaitant une bonne nuit à l’abri des ondes. (à suivre)